L'Orient Le Jour (10-12-2011)
Chers amis,
En me réveillant ce matin du 12 décembre 2005, la dernière des choses que je voulais savoir c’était la nouvelle téléphonique m’annonçant la mort de Gebrane Tueini.
La voiture piégée qui a explosé dans son convoi a écrasé sa blindée avant de la pulvériser avec ses occupants dans la chaussée en dehors de la route. Gebrane avait avec lui son ordinateur portable et son mobile restés in......tacts.
Avant mon départ de Beyrouth il y a quelques jours, nous avons parlé au téléphone pour évoquer la situation ainsi que pour commenter le Plan d’Action que j’ai coordonné dans le cadre de la politique européenne de voisinage au Liban. Et nous avons convenu de nous rencontrer à ma prochaine visite au Liban. J’irai la semaine prochaine, non plus pour une rencontre désormais impossible, mais pour présenter mes condoléances à son père (qui vient d’être décoré le jeudi dernier de la légion d’honneur par le Premier ministre), à son épouse et à ses enfants.
Lorsque je l’ai invité comme principal orateur de la remise des diplômes au Sénat, je n’imaginais pas que deux mois plus tard je parlerai de lui au passé.
Le cri de colère qui s’élève de mes profondeurs n’est rien…
La souffrance que je ressens en ce moment n’est que peu de chose…
L’amertume qui transforme l’éclat en fadeur, le bonheur en abandon, n’est qu’un avant-goût…
Le vide qui anéantit l’existence dans un souffle écoeuré et sans âme n’est que plénitude…
Devant la révolte qui met en marche des hommes et des femmes libres en ce jour du 12 décembre !
En ordre de combat donc, au rythme des pas libres sur des sentiers jamais battus, des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes, accourent de tous côtés à la Place de la Liberté à Beyrouth, face au bureau de Gebrane, sans se bousculer, s’embrassent avec le regard en feu, sans cris ou émotions, la langue liée par la grandeur de l’effroi, le coeur ébranlé par le fardeau de la tristesse, la tête haute comme le Mont du Cèdre, le doigt pointé sans hésitation ou crainte vers le criminel, et les yeux… ces grands yeux du Levant qui regorgent aujourd’hui des perles de regret, de bonté… et d’amour.
Beyrouth pleure aujourd’hui son prince perdu…
Et son printemps n’en finit pas d’éclore…
Il est mort l’épée au poing ! En donnant des instructions (avec son portable qui a survécu) à ses journalistes d’Annahar ; véritables fantassins de la vérité, mobilisés qu’ils sont sur tous les fronts à la recherche de la seule victoire qui vaille, celle de la liberté.
Et la Méditerranée d’à côté, inquiète plus que jamais, mais nonchalante aussi comme d’habitude, relaie le message pour tous les peuples riverains et au-delà !
Cette mort-là est de trop !
Dr. Selim el Sayegh
Ancien Ministres des Affaires Sociales