ARTICLE DE L'ULF SUR LA VISITE DE S.E. DR.SELIM EL SAYEGH:
Conférence de Son Excellence Dr. Sélim El Sayegh le mardi 21 mai 2013 à l’Université Libano-Française:
Dans le cadre de ses activités académiques annuelles, L’ULF, en partenariat avec l’Agence Universitaire de la Francophonie, a organisé une conférence à l’auditorium de Deddeh avec le Dr. Sélim El Sayegh, ex-Ministre des Affaires Sociales, le mardi 21 mai 2013, portant sur le rôle des jeunes dans la construction d’une mémoire collective libanaise qui servirait éventuellement à paver la voie à un avenir commun pour les Libanais. Intitulée : « Jeunesse et mémoire: la construction de l’avenir », la conférence se devait de lever le voile sur les non-dits sociaux accumulés au fil des dissensions politiques au niveau de la sphère de pouvoir et qui se sont dramatiquement rabattus sur le collectif populaire libanais, formant au passage une couche supplémentaire de durcissement, d’éloignement, et même d’écartèlement au sein de la structure sociale collective. Pari gagné.
La conférence a débuté par un mot de bienvenue du Président de l’ULF, le Dr. Mohamad Salhab, qui a d’abord présenté le conférencier, puis a introduit le thème de la mémoire en mettant l’accent sur l’intérêt du sujet, la mémoire s’avérant une qualité commune à toutes les créatures, plantes, animaux et hommes ; aussi, elle est essentiellement au cœur de la fonction reproductrice des cellules. Le Président a ensuite rappelé l’importance particulière qu’elle revêt aujourd’hui, car avec l’émergence de la mémoire électronique, la mémoire représente désormais un défi pour l’individu contemporain, mais elle n’en demeure pas moins étroitement liée aux capacités étonnamment prodigieuses de la mémoire sélective dans le tri des moments les plus marquants- ou perçus comme tels-, ce qui non seulement n’empêche pas, mais plutôt permet de reforger un passé capable d’aller vers l’avenir
Suivit un court-métrage préparé par les étudiants sur le lien entre la mémoire chez les jeunes Libanais et les moments individuels et collectifs de joie et de tristesse d’un passé pétri par les différences et cependant point de mire d’âmes en mal d’une identité nationale qui soit et repère et tremplin.
Puis ce fut au tour du conférencier, Dr. EL Sayegh, de prendre la parole: l’exposé généreux qu’il fit sur la mémoire, exhaustif et profond, fit tomber une à une les défenses du concept stéréotypé de la mémoire libanaise d’après la guerre de 1975. Elle aussi menée tambour battant sous la houlette de la téléologie politique, malmenée à volonté, maintes fois confisquée et « confessionnalisée » par des groupes assoiffés de pouvoir, la mémoire en est réduite aujourd’hui à s’exhiber de façon intermittente pour la joie du parterre dans la vitrine du fait-sur mesure politique libanais, si soumise aux caprices de la classe dirigeante qu’elle en a perdu sa raison d’être. Dès lors que l’on reconnaît cette manipulation délibérée et plurielle du rôle de la mémoire de la guerre par les vainqueurs du moment, il est à se demander si elle peut encore constituer un point de rencontre pour les différentes composantes sociales du Liban, et dans l’affirmation, quel serait alors le rôle des jeunes dans la reconstruction d’une mémoire collective libanaise du passé?
En réponse à ces questions et face à ce plagiat psycho-politique, Dr. EL Sayegh en appelle à la foi des Libanais, à leur sens de la dignité, laquelle dignité s’avérant un dénominateur commun potentiel pour toutes les confessions du Liban, puisqu’elle s’appuierait sur une quête de la vérité et un désir de justice, tous deux issus des préceptes mêmes des religions monothéistes qui forment la trame du tissu humain au Liban, et qui, toutes sources de conflits qu’elles sont, n’en demeurent pas moins un ciment d’exception, à condition que l’on sache- et que l’on veuille bien- y puiser avec la ferme volonté d’en sélectionner des éléments de polissage communs à toutes les confessions et d’en respecter le caractère sacré, le sacré jouant en l’occurrence le rôle de garde-fou aux dérapages.
Et si l’acte de puiser, de par les choix qu’il suppose, tout choix sous-entendant forcément rejet du non-choisi, est synonyme de sélectivité, par conséquent pourquoi ne pas utiliser la mémoire sélective afin de glaner dans notre héritage des points de rencontre positifs sur lesquels bâtir une idéologie de vie commune? De Gaulle a choisi de ne voir que le côté résistant des Français durant la guerre, et pourtant ce n’était qu’un côté infiniment précaire, le taux de résistants parmi les Français ne dépassant pas les 5 %. Mais De Gaulle avait la ferme volonté de rebâtir la France, une France unifiée et solide, il a donc choisi le concept de la résistance à l’occupant ennemi, objet de haines et de ressentiments populaires communs, parce que la résistance avait l’effet salvateur de conjuguer les différences sociales et politiques, et d’en recréer un patrimoine flambant neuf de nationalité basée sur le courage et la volonté farouche de défendre le pays ainsi que l’appartenance à ce pays: par le truchement de la résistance symbole de Français courageux et conscients et dévoués jusqu’à la mort, le phénix national endormi par les déchirures de la guerre et de l’occupation re-naquit de ses cendres, et une France plus forte-pour le moment- parce que partageant une idéologie- ciment commune, vit le jour, qui portait haut le flambeau de la quête de liberté et de justice. Ironie subtile de la manipulation? Plutôt volonté exacerbée de sélectivité. Romantisation? Peu importe, la magie a opéré, et la résistance- mythe devint la pierre d’angle d’une nouvelle république, rajeunie par le sang de ses citoyens versé pour elle.
Ce que le Général a fait? Il a simplement veillé à ce que la résistance des uns pour ce qui avait été la France ne soit en aucun cas la cause directe de la marginalisation des autres, superbement et indécemment majoritaires; plus, en étendant volontairement la portée matérielle du concept, il est parvenu à en faire un dénominateur commun de tout ce qui avait été, pour les uns, la plus belle expression de dénégation nationale, et pour les autres, la plus belle expression de ce qui aurait dû être, de leur part, un comportement de dénégation et de sacrifice patriotiques. L’euphorie nationale recréée à partir d’évènements héroïques était des lors permise à tous, et c’est cette liberté de faire partie-au moins par l’imaginaire- d’une collectivité nationale héroïque à laquelle on n’aurait pas dû avoir droit normalement, qui a permis de réunir ensemble les différentes catégories socio-politiques et de rapiécer les lambeaux de la mémoire collective déchirée des Français d’après-guerre.
Commençons donc par nous entendre sur les erreurs du passé, par exemple en faisant le procès-verbal des évènements de Aïn-el Remmaneh, en dressant l’inventaire des horreurs du passé, en nommant les choses, en acceptant de responsabiliser et d’endosser la responsabilité. Mais surtout cultivons le dialogue, instigateur d’une culture de la paix, afin que sur des bases de volonté de reconnaissance et d’acceptation nous puissions construire une confiance mutuelle durable et couper court aux monopoles de tous genres des recoins de la mémoire collective par le Moi étriqué de l’individu. Non à la manipulation politique des fragments les plus sombres de la mémoire collective libanaise des années de guerre libanaise, non au déplacement délibéré et volontaire de la responsabilité morale et physique, à seule fin d’occuper le devant de la scène et de fausser les perceptions des électeurs afin de récolter le plus grand nombre de voix le moment venu ou pour le moins d’affaiblir ses rivaux politiques. Il s’agit pour la collectivité de reconquérir les terrains de la mémoire perdus dans les brumes douteuses d’un passé volé, et pour ce faire, il faut le vouloir et exprimer haut, par la communication puis par l’acte, cette volonté.
Quant aux jeunes Libanais, leur rôle est capital, en ce sens qu’il leur incombe, avant tout, de reprendre possession de leur présent par une prise de conscience de leur passé afin de se délivrer de ses fantômes, ceux d’évènements déclencheurs dont on entretient les mystères faute d’un consensus admis par l’irréfutabilité de la preuve investigatrice, et ceux de disparus doublement ignorés puisque non-reconnus ni pleurés, donc interdits d’accès à la terrasse des deuils-souvenirs libérateurs, qui admettent la mort de l’Autre afin de mieux permettre la résurrection du Moi et sa réintégration dans la constellation sociale collective. Le deuil est très important au Liban, faire le deuil des années de guerre libanaise peut être un pas vers la guérison, et pour faire son deuil, on a besoin de connaître le sort des disparus, de compter les morts, d’accepter qu’ils soient partis, afin que l’on se remette à vivre, à réapprendre les gestes et les paroles de ceux qui ont perdu un être cher depuis longtemps, et qui viennent enfin de savoir pour de bon qu’il est mort et qu’ils ne le reverront plus, et lorsque sa mort est finalement confirmée, cette confirmation les libèrera, et une fois passée la période de deuil pour le respect de sa mémoire ils se sentiront enfin le droit de revivre.
Les jeunes sont appelés à prendre position, par une prise de conscience courageuse de la réalité du legs national, et aussi par le désir cultivé de fructification de ce legs. Il leur revient de construire une intelligence collective, de réaliser enfin l’importance essentielle de la communication directe dans le cercle familial immédiat pour commencer, puis dans les cercles plus élargis de leur identité Libanaise composée, en osant défier le silence meurtrier imposé par les moyens modernes de télécommunication. La balle est dans leur camp, et le tournant est décisif puisque tout demi-tour serait inéluctablement suicidaire : qu’ils examinent de l’œil implacable de la jeunesse les chapitres de la guerre sous toutes les coutures, qu’ils fassent le procès de ses acteurs en leur refusant le bénéfice du doute, et qu’ils retournent de leur logique de scalpel les plaies les plus suintantes du passé, qu’ils fassent enfin des entailles -à la mesure des blessures dont ils souffrent- à la carapace figée qui emprisonne leur patrimoine de mémoire, mais aussi qu’ils agissent, qu’ils acceptent d’être les correcteurs d’un parcours qui leur était dû sans accidents, et qu’ils revendiquent le droit à la vérité et au renforcement de la justice afin de pouvoir récupérer une mémoire non amputée, sujette à la cicatrisation et capable de réconciliation, une mémoire qui serait le point de départ d’un avenir collectif nourri par les énergies du présent et enrichi par les erreurs du passé.
Norma Issa-Arab, U LF
Conférence de Son Excellence Dr. Sélim El Sayegh le mardi 21 mai 2013 à l’Université Libano-Française:
Dans le cadre de ses activités académiques annuelles, L’ULF, en partenariat avec l’Agence Universitaire de la Francophonie, a organisé une conférence à l’auditorium de Deddeh avec le Dr. Sélim El Sayegh, ex-Ministre des Affaires Sociales, le mardi 21 mai 2013, portant sur le rôle des jeunes dans la construction d’une mémoire collective libanaise qui servirait éventuellement à paver la voie à un avenir commun pour les Libanais. Intitulée : « Jeunesse et mémoire: la construction de l’avenir », la conférence se devait de lever le voile sur les non-dits sociaux accumulés au fil des dissensions politiques au niveau de la sphère de pouvoir et qui se sont dramatiquement rabattus sur le collectif populaire libanais, formant au passage une couche supplémentaire de durcissement, d’éloignement, et même d’écartèlement au sein de la structure sociale collective. Pari gagné.
La conférence a débuté par un mot de bienvenue du Président de l’ULF, le Dr. Mohamad Salhab, qui a d’abord présenté le conférencier, puis a introduit le thème de la mémoire en mettant l’accent sur l’intérêt du sujet, la mémoire s’avérant une qualité commune à toutes les créatures, plantes, animaux et hommes ; aussi, elle est essentiellement au cœur de la fonction reproductrice des cellules. Le Président a ensuite rappelé l’importance particulière qu’elle revêt aujourd’hui, car avec l’émergence de la mémoire électronique, la mémoire représente désormais un défi pour l’individu contemporain, mais elle n’en demeure pas moins étroitement liée aux capacités étonnamment prodigieuses de la mémoire sélective dans le tri des moments les plus marquants- ou perçus comme tels-, ce qui non seulement n’empêche pas, mais plutôt permet de reforger un passé capable d’aller vers l’avenir
Suivit un court-métrage préparé par les étudiants sur le lien entre la mémoire chez les jeunes Libanais et les moments individuels et collectifs de joie et de tristesse d’un passé pétri par les différences et cependant point de mire d’âmes en mal d’une identité nationale qui soit et repère et tremplin.
Puis ce fut au tour du conférencier, Dr. EL Sayegh, de prendre la parole: l’exposé généreux qu’il fit sur la mémoire, exhaustif et profond, fit tomber une à une les défenses du concept stéréotypé de la mémoire libanaise d’après la guerre de 1975. Elle aussi menée tambour battant sous la houlette de la téléologie politique, malmenée à volonté, maintes fois confisquée et « confessionnalisée » par des groupes assoiffés de pouvoir, la mémoire en est réduite aujourd’hui à s’exhiber de façon intermittente pour la joie du parterre dans la vitrine du fait-sur mesure politique libanais, si soumise aux caprices de la classe dirigeante qu’elle en a perdu sa raison d’être. Dès lors que l’on reconnaît cette manipulation délibérée et plurielle du rôle de la mémoire de la guerre par les vainqueurs du moment, il est à se demander si elle peut encore constituer un point de rencontre pour les différentes composantes sociales du Liban, et dans l’affirmation, quel serait alors le rôle des jeunes dans la reconstruction d’une mémoire collective libanaise du passé?
En réponse à ces questions et face à ce plagiat psycho-politique, Dr. EL Sayegh en appelle à la foi des Libanais, à leur sens de la dignité, laquelle dignité s’avérant un dénominateur commun potentiel pour toutes les confessions du Liban, puisqu’elle s’appuierait sur une quête de la vérité et un désir de justice, tous deux issus des préceptes mêmes des religions monothéistes qui forment la trame du tissu humain au Liban, et qui, toutes sources de conflits qu’elles sont, n’en demeurent pas moins un ciment d’exception, à condition que l’on sache- et que l’on veuille bien- y puiser avec la ferme volonté d’en sélectionner des éléments de polissage communs à toutes les confessions et d’en respecter le caractère sacré, le sacré jouant en l’occurrence le rôle de garde-fou aux dérapages.
Et si l’acte de puiser, de par les choix qu’il suppose, tout choix sous-entendant forcément rejet du non-choisi, est synonyme de sélectivité, par conséquent pourquoi ne pas utiliser la mémoire sélective afin de glaner dans notre héritage des points de rencontre positifs sur lesquels bâtir une idéologie de vie commune? De Gaulle a choisi de ne voir que le côté résistant des Français durant la guerre, et pourtant ce n’était qu’un côté infiniment précaire, le taux de résistants parmi les Français ne dépassant pas les 5 %. Mais De Gaulle avait la ferme volonté de rebâtir la France, une France unifiée et solide, il a donc choisi le concept de la résistance à l’occupant ennemi, objet de haines et de ressentiments populaires communs, parce que la résistance avait l’effet salvateur de conjuguer les différences sociales et politiques, et d’en recréer un patrimoine flambant neuf de nationalité basée sur le courage et la volonté farouche de défendre le pays ainsi que l’appartenance à ce pays: par le truchement de la résistance symbole de Français courageux et conscients et dévoués jusqu’à la mort, le phénix national endormi par les déchirures de la guerre et de l’occupation re-naquit de ses cendres, et une France plus forte-pour le moment- parce que partageant une idéologie- ciment commune, vit le jour, qui portait haut le flambeau de la quête de liberté et de justice. Ironie subtile de la manipulation? Plutôt volonté exacerbée de sélectivité. Romantisation? Peu importe, la magie a opéré, et la résistance- mythe devint la pierre d’angle d’une nouvelle république, rajeunie par le sang de ses citoyens versé pour elle.
Ce que le Général a fait? Il a simplement veillé à ce que la résistance des uns pour ce qui avait été la France ne soit en aucun cas la cause directe de la marginalisation des autres, superbement et indécemment majoritaires; plus, en étendant volontairement la portée matérielle du concept, il est parvenu à en faire un dénominateur commun de tout ce qui avait été, pour les uns, la plus belle expression de dénégation nationale, et pour les autres, la plus belle expression de ce qui aurait dû être, de leur part, un comportement de dénégation et de sacrifice patriotiques. L’euphorie nationale recréée à partir d’évènements héroïques était des lors permise à tous, et c’est cette liberté de faire partie-au moins par l’imaginaire- d’une collectivité nationale héroïque à laquelle on n’aurait pas dû avoir droit normalement, qui a permis de réunir ensemble les différentes catégories socio-politiques et de rapiécer les lambeaux de la mémoire collective déchirée des Français d’après-guerre.
Commençons donc par nous entendre sur les erreurs du passé, par exemple en faisant le procès-verbal des évènements de Aïn-el Remmaneh, en dressant l’inventaire des horreurs du passé, en nommant les choses, en acceptant de responsabiliser et d’endosser la responsabilité. Mais surtout cultivons le dialogue, instigateur d’une culture de la paix, afin que sur des bases de volonté de reconnaissance et d’acceptation nous puissions construire une confiance mutuelle durable et couper court aux monopoles de tous genres des recoins de la mémoire collective par le Moi étriqué de l’individu. Non à la manipulation politique des fragments les plus sombres de la mémoire collective libanaise des années de guerre libanaise, non au déplacement délibéré et volontaire de la responsabilité morale et physique, à seule fin d’occuper le devant de la scène et de fausser les perceptions des électeurs afin de récolter le plus grand nombre de voix le moment venu ou pour le moins d’affaiblir ses rivaux politiques. Il s’agit pour la collectivité de reconquérir les terrains de la mémoire perdus dans les brumes douteuses d’un passé volé, et pour ce faire, il faut le vouloir et exprimer haut, par la communication puis par l’acte, cette volonté.
Quant aux jeunes Libanais, leur rôle est capital, en ce sens qu’il leur incombe, avant tout, de reprendre possession de leur présent par une prise de conscience de leur passé afin de se délivrer de ses fantômes, ceux d’évènements déclencheurs dont on entretient les mystères faute d’un consensus admis par l’irréfutabilité de la preuve investigatrice, et ceux de disparus doublement ignorés puisque non-reconnus ni pleurés, donc interdits d’accès à la terrasse des deuils-souvenirs libérateurs, qui admettent la mort de l’Autre afin de mieux permettre la résurrection du Moi et sa réintégration dans la constellation sociale collective. Le deuil est très important au Liban, faire le deuil des années de guerre libanaise peut être un pas vers la guérison, et pour faire son deuil, on a besoin de connaître le sort des disparus, de compter les morts, d’accepter qu’ils soient partis, afin que l’on se remette à vivre, à réapprendre les gestes et les paroles de ceux qui ont perdu un être cher depuis longtemps, et qui viennent enfin de savoir pour de bon qu’il est mort et qu’ils ne le reverront plus, et lorsque sa mort est finalement confirmée, cette confirmation les libèrera, et une fois passée la période de deuil pour le respect de sa mémoire ils se sentiront enfin le droit de revivre.
Les jeunes sont appelés à prendre position, par une prise de conscience courageuse de la réalité du legs national, et aussi par le désir cultivé de fructification de ce legs. Il leur revient de construire une intelligence collective, de réaliser enfin l’importance essentielle de la communication directe dans le cercle familial immédiat pour commencer, puis dans les cercles plus élargis de leur identité Libanaise composée, en osant défier le silence meurtrier imposé par les moyens modernes de télécommunication. La balle est dans leur camp, et le tournant est décisif puisque tout demi-tour serait inéluctablement suicidaire : qu’ils examinent de l’œil implacable de la jeunesse les chapitres de la guerre sous toutes les coutures, qu’ils fassent le procès de ses acteurs en leur refusant le bénéfice du doute, et qu’ils retournent de leur logique de scalpel les plaies les plus suintantes du passé, qu’ils fassent enfin des entailles -à la mesure des blessures dont ils souffrent- à la carapace figée qui emprisonne leur patrimoine de mémoire, mais aussi qu’ils agissent, qu’ils acceptent d’être les correcteurs d’un parcours qui leur était dû sans accidents, et qu’ils revendiquent le droit à la vérité et au renforcement de la justice afin de pouvoir récupérer une mémoire non amputée, sujette à la cicatrisation et capable de réconciliation, une mémoire qui serait le point de départ d’un avenir collectif nourri par les énergies du présent et enrichi par les erreurs du passé.
Norma Issa-Arab, U LF
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