La Résistance culturelle et la politique de la
transcendance.
« Le Liban est universel ou il n’est
pas » Maurice Gemayel
La question culturelle est congénère à la
fondation même du Liban. Dans un Levant ouvert à tous les totalitarismes,
elle pose le principe de la Liberté. Elle est consubstantielle de l’ancienne Question
d’Orient, et son corollaire, la protection des minorités. Comme nulle part
ailleurs, elle amplifie le paradoxe de la binarité (I) et le dépasse par
l’impératif de la médiation (II) avant de l’exprimer par une politique de
la transcendance (III).
I. La binarité. Au Liban, les cultures sont
façonnées selon les communautés. Si deux cultures cohabitent, c’est pour mettre
en relief la prépondérance du religieux sur toute autre considération.
L’hybridation nécessaire pour satisfaire au projet assimilatoire de la Nation
libanaise est restée primaire. La résistance culturelle s’est donc trouvée
devant une triple opposition: celle de la communauté aux autres
communautés ; celle de la communauté à la logique de l’Etat ; et
celle de la communauté à ses contradicteurs internes.
Au travers ces trois oppositions, une binarité
s’installe entre le dedans et le dehors, le particulier et l’universel, le
singulier et le pluriel, l’autonomie et l’interdépendance. La question
culturelle est alors appelée à s’apparenter à la volonté de la préservation de
l’essence même de la culture, des cultures. Ainsi un triple mythe s’esquisse et
se perpétue : la culture vise à préserver sa pureté,ce qui est facilement
remis en cause dans un monde hybride et métissé ; la culture vise à
délimiter ses frontières et les défendre contre l’autre, sans saisir que
l’altérité est devenue réflexivité, conscience de soi, acte de liberté par
association avec l’autre ; et enfin, la culture ne peut être préservée que
par le fameux « isolationnisme », par essence réfractaire et
aliénataire, ce qui récuse tout projet collectif de la communauté humaine ou de
la nation.
Ces contradictions ne peuvent être résolues
par une dialectique historique d’annulation et de remplacement. Cette
impossibilité conduit à une impasse perçue comme salutaire. La résistance
culturelle deviendra donc le signe de l’existence défendue.
Or cette proposition de résistance, pour
conservatrice qu’elle soit, n’est pas appelée à être écourtée d’emblée. Elle
pose le problème et c’est là son mérite principal. Mais elle le réduit à ses
éléments anthropologiques. Elle mène donc à une impasse conceptuelle et amène
des raccourcis politiques. Pour dépasser l’impasse, elle doit repenser le
problème en tenant compte de l’aspiration permanente d’harmonie, ce qui suggère
un travail profond de médiation.
II. La médiation. La question culturelle est à
la fois repli et ouverture, comme elle est universelle et identitaire. Elle défie
les règles de la géographie pour la mondialiser avant la lettre. D’un
territoire exsangue et sans espace vital, où se moulent les aspirations et se
brassent les espérances, l’appel à la différence ne connaît plus que les
frontières dessinées par la présence libanaise dans le Monde.
Dans ses rides millénaires, la question
culturelle au Liban abrite les us et coutumes avec leur cortège d’idées reçues.
Mais dans sa quête permanente de modernité, elle réinvente à chaque instant un
projet qui avance par à-coups d’impulsion créatrice.
Cette décomposition de la temporalité et de
l’espace place le Liban au cœur de la problématique post-moderne. La
globalisation n’est pas ici un phénomène étrange imposé au pays du Cèdre. Bien
au contraire, le pays du négoce millénaire y a trouvé une évolution qui sied
son caractère national. Au lieu de se sentir menacé dans son essence même,
comme c’est le cas de beaucoup d’Etats culturellement totalitaires, le Liban
s’est au contraire épanoui grâce à sa culture plurielle. De même, il a évité
les effets d’une diversité éclatée et chaotique qui désincarne l’humanisme des
Lumières et le transforme en idéologie du culte de l’homme matériel sans projet
ni dessein, et donc sans espoir. Tout simplement, et contre toute attente, le
Liban a su faire éclore une diversité harmonieuse culturellement et riche
spirituellement. Cette diversité devrait devenir source de puissance et non une
potentialité de violence. Ce qui invite au débat la politique de transcendance.
III. La transcendance. Son expression est le
Pacte national entre les Libanais. Ses fondements sont le projet de liberté et
de dignité qui caractérise le Liban. La transcendance politique ne vise pas à
préserver l’existent. Elle ne vise pas non à faire changer la nature du Liban.
Ce n’est ni dans la préservation, ni dans le changement que la transcendance
s’exprimera. De même, qu’elle ne trouvera son aboutissement ni dans
l’affirmation liturgique de la primauté du Pacte national ou dans la mantra
quotidienne de la solidarité intercommunautaire. La transcendance réelle se
fait au-delà de ces négations et affirmations. Elle les dépasse, tout en les
englobant.
La transcendance politique au Liban aspire à
construire un nationalisme profondément vécu mais franchement sublimatoire des convergences
plutôt qu’un chauvinisme humainement stérile mais bruyamment déclaratoire des
divergences.
Substituer ainsi à la résistance culturelle la
culture de la démocratie devient impératif. Enclencher une délibération
permanente est nécessaire, tout comme rechercher un compromis continu, une
stabilité dynamique, où les imprégnations réciproques entre les composantes
culturelles du Liban se conjuguent au futur et non plus simplement au passé.
Une telle confiance dans l’avenir de cette
transcendance est fondée sur une conviction profonde dans la réalité du message
du Liban. Ce pays est concret. Il n’est pas une communauté imaginée, il n’est
pas une culture inventée, il n’est pas une abstraction dématérialisée. Ce pays
incarne un humanisme profond malgré son pragmatisme de survie. Il respire une
spiritualité réelle malgré son matérialisme de surface. Il vit au rythme du
dialogue malgré son autoritarisme de caractère. Il aspire à la paix malgré un
extrémisme d’opportunité.
Et il n’a pas peur ! Il ne doit pas avoir
peur. Sa culture a assimilé toutes les cultures. Et elle a vaincue, pour
paraphraser le récit d’Horace sur la Grèce vaincue, ses propres vainqueurs.
Pour que cette victoire soit possible, il
n’est pas suffisant que l’existence du Liban soit déclarée comme un projet fini
et achevé, que la solidarité de ses citoyens, leur coexistence et leur entente
deviennent une fatalité historique. S’en tenir uniquement à ces limitations
signifie que la créature appelée « culture libanaise » finira par
dévorer toutes ses composantes par effet de puissance ou par volonté de
préservation (taqiah). Le requis de la victoire de la culture libanaise est
l’affirmation de la nature du contrat social qui a historiquement lié les
libanais. Il s’agit donc de pouvoir dégager et orienter l’énergie suffisante
pour réaliser pleinement le projet de liberté. Sans cette liberté, le Liban
perdra sa raison d’être, ses valeurs fondatrices, et il se livrera aux rapaces des
cultures monolithiques, qu’elles soient commerciales ou religieuses,
matérielles ou morales.
Ainsi « délocalisé » au Liban, le
projet des Lumières en essoufflement en Occident trouvera un nouvel élan à
partir de cette terre mille fois sainte, mille fois martyrisée, mille fois
ressuscitée.
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