dimanche 23 mars 2014

Antonine 2009

Communication présentée au colloque
“La FINUL: 30 d’existence, signe de pérennité ? »

Université Antonine-UPA
le 19  novembre 2008
révisée le 11 mars 2009


L’autonomisation de la Résolution 1701

par Sélim el Sayegh



L’autonomisation de la Résolution 1701 porte sur la possibilité de mettre en œuvre ce texte émanant du Conseil de Sécurité le 11 août 2006 indépendamment de l’évolution de la conjoncture libanaise ou régionale. En d’autres termes, la question de l’autonomisation aborde le risque de voir cette résolution devenir caduque, sans objet et sans portée juridique ou politique, ou encore dépassée par les événements en raison d’un quelconque changement fondamental de circonstances.

C’est ainsi que se décline notre raisonnement dans ce texte en trois points : tout d’abord, est analysée la portée juridique de la résolution 1701 (I) ; ensuite, sont présentées les défis à l’autonomisation (II) ; enfin, des orientations quant à l’avenir seront dégagées (III).



I.                   La portée de la résolution 1701.

 Le Conseil de Sécurité est une instance politique qui a la responsabilité principale de traiter les questions relatives à la paix et la sécurité internationales. Il a un pouvoir quasi législatif et une compétence exclusive d’exécution. Cette compétence s’exerce de façon discrétionnaire. C’est l’opportunité politique, et donc l’équilibre des forces, qui préside à son comportement, nonobstant les critères de justice ou de légitimité de l’objet de sa saisine. Telle fut l’intention des rédacteurs de la Charte pour faire éviter aux Nations Unies les pièges que la Société des Nations a rencontrés. Depuis la fin de la guerre froide, et notamment après l’attentat terroriste du 11 septembre 2001, deux familles de critères déterminent le travail du Conseil et ses décisions : l’équilibre et l’efficacité. 

Ainsi la  résolution 1701 est le fruit d’un compromis politique négocié entre les représentants des principales puissances au sein des différentes capitales, communiqué aux Nations Unies où les représentants des Etats intéressés, notamment le Liban, Israël ainsi que les membres élus du Conseil de Sécurité, ont contribué à faire évoluer le texte dans un sens ou un autre.  Cette résolution devait donc suffisamment satisfaire toutes les parties sans que le compromis, à l’égard de la gravité de la situation qui constitue une véritable rupture de la paix et de la sécurité internationales et une atteinte grave au droit international humanitaire et au droit des conflits armés, ne lui fasse perdre sa portée obligatoire.  

C’est en effet ce souci d’équilibre qui amène le Conseil à éviter de préciser son fondement juridique. S’agit-il d’un texte rattaché au cadre du chapitre VI portant sur l’obligation d’un règlement pacifique des différends ? La nature du texte peut plaider pour une réponse affirmative à cette question. Malgré la gravité de la situation et sa qualification par ladite résolution selon les termes de l’article 39 appartenant au Chapitre VII, portant sur les mesures pour faire face aux situations de conflit, c’est-à-dire la constatation de l’existence d’une menace ou d’une rupture de la paix, le Conseil a préféré ne pas donner à son action une portée obligatoirement militaire mais plutôt volontairement pacifique. Le texte demeure donc flou dans la forme quant à la précision de son fondement juridique, mais il est beaucoup plus contraignant sur le fond, ce qui veut dire en d’autres termes, que le Conseil a délaissé sur la forme ce qu’il a pu récupérer sur le fond. Cette prudence du Conseil renforce la légitimité de la décision rendue dans le but de la rendre rapidement exécutoire.

Cette conjugaison de l’équilibre et de l’efficacité fait que la 1701 devient suffisamment militante pour qu’elle rassure ceux qui veulent voir en elle une continuation pure et simple de la résolution 1559 (2004) qui appelle entre autres au désarmement des milices armées, voire le Parti de Dieu (Hezbollah), et celle plus explicite des résolutions 1655 (2006) du 31 janvier 2006 et 1680 (2006) du 17 mai 2006, qui désigne ce parti comme responsable des hostilités du 21 novembre 2005 et le tir de roquettes du 27 décembre 2005 et demande au gouvernement libanais d’étendre « pleinement son autorité et exerce pleinement son contrôle sur l’emploi de la force dont il a le monopole, dans tout le territoire » (Rés.1655).  La résolution 1701 demande par ailleurs la mise en œuvre de la décision du gouvernement libanais du 27 juillet 2006 qui prévoit le contrôle exclusif de l’Etat de toutes les armes sur son territoire (para.8.4).

Dans ce même ordre d’idées, le Conseil établit  un régime coercitif d’embargo sur les armes (para.15) visant implicitement les fournisseurs d’armes au Hezbollah, la Syrie et l’Iran. En effet, il « décide (…) que tous les États devront prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher, de la part de leurs ressortissants ou à partir de leurs territoires ou au moyen de navires de leur pavillon ou d'aéronefs de leur nationalité,
- a) La vente ou la fourniture à toute entité ou individu situé au Liban d'armes et de matériel connexe de tous types, y compris les armes et leurs munitions, les véhicules et le matériel militaires, le matériel paramilitaire et leurs pièces de rechange, que ce matériel provienne ou non de leur territoire, et
- b) La fourniture à toute entité ou individu situé au Liban de toute formation ou moyen technique lié à la fourniture, à la fabrication, à l'entretien ou à l'utilisation des matériels énumérés au paragraphe a) ci-dessus, étant entendu que ces interdictions ne s'appliqueront pas aux armes, au matériel connexe, aux activités de formation ou à l'assistance autorisés par le Gouvernement libanais ou par la Finul » (para.15).

La résolution 1701 est aussi un texte assez réaliste pour que certains n’y voient que l’équilibre des obligations entre le Liban et Israël d’un côté, et de l’autre, la soustraction de la question du désarmement du Hezbollah à la sanction internationale et son assujettissement au consensus local.  En effet, la résolution pose l’interdiction de toute présence armée au Sud du Litani, telle est la mesure à caractère coercitif de la FINUL et de l’armée libanaise (Chapitre VII). Quant au Nord du Litani, il revient à l’Etat libanais de s’assurer le désarmement de toute force non gouvernementale par effet cumulatif des différentes résolutions mais en recourant aux mesures pacifiques de dialogue et de conciliation, le Conseil de Sécurité demeurant saisi de la question pour voir la mise en œuvre de ce désarmement se concrétiser (Chapitre VI). En d’autres termes, le Hezbollah est contraint de reconnaître non sans amertume par le biais de l’Etat libanais au gouvernement duquel il participe le changement stratégique au Sud où il lui est interdit désormais d’opérer. Mais en même temps, il récupère la possibilité de rééquilibrer sa perte de liberté d’action au Sud par un changement de l’équation politique au Centre en bloquant les institutions et le gouvernement sensés contrôler l’armement au Nord du Litani, ce qui déterminera la façon avec laquelle le gouvernement appréhenderait ces questions à l’avenir.

Voulant se prémunir contre une telle éventualité, ou tout le moins réduire ses effets, la résolution s’est gardé trois possibilités : tout d’abord, elle a laissé la question du cessez-le-feu en suspens, ensuite elle n’a pas tranché la question des fermes de Chebaa comme l’a demandé le gouvernement libanais dans le document Séniora, et enfin elle en a appelé à la sanctuarisation des frontières.

En ce qui concerne le cessez-le-feu, la résolution 1701 demande « la cessation immédiate par Israël de toutes les offensives militaires » alors qu’elle demande au Hezbollah en le nommant l’arrêt de toutes les attaques (para.1). Elle ne définit pas la nature des opérations offensives alors que les actes du Hezbollah sont expressément qualifiés. Il va s’en dire qu’il s’agit d’un respect du déséquilibre du statut juridique entre les deux parties certes, mais aussi et surtout, il convient de voir dans la cessation des hostilités sans un cessez-le-feu, que le Liban a demandé dans la déclaration en sept points mais que le Conseil a apparemment préféré ne pas suivre dans l’immédiat, une volonté  de la part de la communauté internationale de garder une certaine pression sur le champ stratégique et l’espace politique devant accompagner la mise en œuvre de cette résolution. Ce souhait sera ainsi exprimé dans le cadre du paragraphe 8 où les deux gouvernements libanais et israéliens sont invités à consolider un cessez-le-feu permanent et à trouver une solution à plus long terme selon les principes établissant la souveraineté sans partage de l’Etat libanais en matière de sécurité.

En ce qui concerne les fermes de Chebaa, le Conseil s’est astreint à prendre « note des propositions faites dans le plan en sept points concernant le secteur des fermes de Chebaa » et « prie le Secrétaire général de mettre au point, en liaison avec les acteurs internationaux clefs et les parties intéressées des propositions […] pour délimiter les frontières internationales du Liban, en particulier dans les zones où la frontière est contestée ou incertaine, y compris en s’occupant de la question des fermes de Chebaa et de les lui présenter dans les 30 jours » (para.10). Mais la résolution ne reprend pas à son compte la déclaration Séniora dans laquelle il demande qu’il y ait « un engagement du Conseil de sécurité de placer les Fermes de Chebaa et les Collines de Kafarchouba sous la juridiction de l'ONU jusqu'à ce que la délimitation du territoire soit achevée, avec un accès aux propriétaires terriens libanais sur ce territoire ».


Dans le même ordre d’idées, cette résolution établit un mandat nouveau de la FINUL assorti de règles d’engagement assez clairs tant pour la protection des membres de la force onusienne que pour l’exécution des mesures citées dans le texte. Ce mandat est davantage renforcé quant à son domaine d’application à l’extérieur du Liban Sud puisqu’il enjoint l’Etat libanais de sécuriser toutes les voies de circulation de la FINUL, y compris ports et aéroport, le contrôle effectif des frontières syro-libanaises et israélo-libanaises (la Ligne Bleue) avec l’aide de la FINUL.


II.                Les défis à l’autonomisation

Les défis qui se posent quant à l’autonomisation de ladite résolution sont la modification de l’équation stratégique, la légalisation des armes, le changement de la majorité parlementaire, les négociations de paix entre Israël et la Syrie, l’absence d’une stratégie nationale de protection du Liban et les soubresauts du nucléaire iranien.

1.                 La modification de l’équation stratégique. Cette résolution a donné un temps pour que le Hezbollah et Israël puissent tous les deux tirer les conclusions adéquates de la guerre de Juillet 2006. Le Hezbollah a opté pour une double stratégie : étatique et clandestine. En effet, il s’est greffé de fait sur l’Etat pour se protéger et en même temps il a continué la construction et le renforcement de ses activités clandestines. A titre d’exemple, le cas des fibres optiques qui sont vitales pour les opérations militaires : tout acte à l’égard de ces fibres constitue une attaque contre les armes de la résistance islamique comme l’a expliqué le Sayed Hassan Nasrallah, chef du Parti de Dieu, pour justifier son coup de force à Beyrouth en mai 2008. Par déduction, et puisque ces fibres sont incontestablement une arme, leur déploiement au Sud du Litani devient une violation de la 1701. Mais le rapport du Secrétaire général de l’ONU reste très factuel sur cette situation et ne va pas jusqu’à ce constat de violation. De l’autre côté, Israël a multiplié ses activités de renseignement au Liban, comme l’attestent les dernières découvertes des services libanais, et n’a pas cessé ses opérations dites défensives, sans pour autant coopérer ni dans les fermes, ni dans les Ghajar, ni accélérer le processus de marquage de la ligne bleue, il n’a pas non plus donné les cartes des mines ou des bombes à fragmentation. Le survol du territoire libanais, opérations défensives ou pas peu importe, est le dernier des actes qui constituent des violations de la résolution (S_2009 /119 SG, 9ème rapport sur la rés. 1701 du SG/ONU, 2009).


Par ailleurs, le Hezbollah déclare avoir triplé sa force de frappe de missiles à courte et moyenne portée, mettant ainsi en péril les concentrations urbaines au sein du territoire israélien. Dans cette configuration, le Hezbollah garde sa force de dissuasion, mais perd sa capacité d’initiative stratégique qui est laissée entre les mains d’Israël doté davantage de moyens de projection de force. Toute escalade au Sud appliquera un taux inacceptable de souffrance pour les deux parties. Toute partie qui prendre l’initiative d’une telle escalade au Sud portera les coûts politiques de ces actes. Mais il va s’en dire que l’équation stratégique ne peut plus être limitée au Sud, puisque les bases de tir de missiles sont déployées au Nord du Litani. Israël aura besoin dans une nouvelle confrontation d’un plus grand champ de liberté stratégique et la FINUL risque de limiter ses options. Tel ne semble pas être le cas du Hezbollah qui se trouve protéger d’une attaque terrestre israélienne par la FINUL mais qui garde alors intacte son seul moyen de riposte, le missile.  
Dans l’attente d’un règlement de la question palestinienne, et notamment l’évolution de la situation à Gaza, Israël ne cherchera pas à modifier l’équation au Sud. Dans cette période d’attente, il sera de son intérêt de garder la FINUL intacte, et se trouve donc dans la même position politique que le Hezbollah mais pour des raisons différentes.



2.                 La légalisation des armes. Le réarmement de la Résistance islamique (Parti de Dieu, ou Hezbollah) eut lieu au Liban en l’absence d’un gouvernement effectif dans la Capitale libanaise, et donc il n’obtint ni l’autorisation ni l’acquiescement officiel.

Cette question pose deux problèmes d’ordre juridique : le consentement a priori ou a posteriori du gouvernement libanais. La résolution 1701 s’est fondée sur une succession de résolutions de même nature demandant le désarmement de toutes les forces non gouvernementales, même si elle laisse transparaître la possibilité d’un certain maintien des armes au nom de groupes armés mais sous l’autorité de l’Etat. A aucun moment le gouvernement libanais n’a communiqué aux Nations Unies qu’il avait autorisé le réarmement ou encore moins qu'il avait implicitement donner son  acquiescement pour le réarmement de groupes armés. Bien au contraire, le gouvernement est intervenu plus d’une fois pour interdire, manu militari, le transport d’instruments de guerre vers le Sud. En revanche,  L’ONU n’a jamais réussi à obtenir de la part d’Israël la preuve de ses allégations quant au transfert de masse de missiles et d’armes destiné à la Résistance islamique au Liban. Or les déclarations publiques du Hezbollah alimentent la thèse israélienne sur le réarmement. En tout état de cause, le gouvernement libanais, malgré la pression qu’il subissait dans le sit-in au Centre-ville, le blocage des institutions constitutionnelles comme le Parlement et la Présidence de la République, et la menace perpétuelle des assassinats politiques qui ont effectivement atteint des personnalités de son groupe parlementaire, n’a jamais consenti au réarmement du Hezbollah.  Ainsi, les termes de la résolution 1701 qui laissent transparaître la possibilité d’un maintien des armes mais sous contrôle gouvernemental ne peuvent fonder l’argument en faveur de la légalité du réarmement.

La question du consentement a posteriori semble être plus délicate. Le gouvernement dit d’Union nationale issu de l’accord de Doha a précisé dans sa déclaration de politique générale sur la base de laquelle il a obtenu le vote de confiance au Parlement, que la défense du Liban est une affaire qui inclut tout aussi bien l’armée que le peuple et sa résistance. Dans le même paragraphe dans un autre alinéa elle précise que la primauté et la prépondérance de l’Etat et elle confirme dans un autre alinéa l’esprit et la lettre de la résolution 1701. Cette mention explicite du droit à la résistance dans le texte laisse la voie ouverture pour une certaine interprétation. Pour parer contre une telle éventualité, un certain nombre de ministres ont émis des réserves sur la déclaration, fait rare (mais pas unique puisque Pierre Gemayel, le ministre Kataëb assassiné en 2006, a émis la même réserve sur les armes du Hezbollah lors du premier gouvernement Séniora formé en 2005) dans l’histoire constitutionnelle moderne puisque le texte lie les ministres à l’institution par le biais de cet acte fondateur du gouvernement, établit sa responsabilité et cimente son autorité, et ces ministres ne peuvent être déliés par une quelconque réserve quelque soit sa légitimité sauf s’ils assortissent cette réserve plus tard par une démission du gouvernement. Mais l’acte politique est fort même s’il reste sans effet juridique. Donc, cette stipulation aurait pu fonder la légalisation des armes du Hezbollah a posteriori, c’est-à-dire, entre l’entrée en vigueur de la résolution 1701 en août 2006 et la formation du gouvernement d’Union nationale deux ans plus tard.  Or cette thèse qui divise de façon aigue les Libanais ne semble résister ni à l’analyse juridique, ni aux conclusions de l’ONU.

En effet, la déclaration de politique générale est un instrument qui doit être lu dans sa totalité, considéré dans son intégrité, et il est donc indivisible. De même les mesures qu’il projette de mettre en application sont des actes de gouvernement inaliénables. Il incombe donc au gouvernement et à lui seul, c’est-à-dire sans aucune délégation de compétences, d’exercer son autorité sans partage. Dans le texte, nombreux sont les rappels de la primauté et l’exclusivité de l’Etat dans sa responsabilité principale d’assurer la paix et la sécurité sur l’ensemble du territoire.

De surcroît, la soumission du droit interne libanais au droit international en l’occurrence la résolution 1701 est aussi constatée. Lorsque la  déclaration gouvernementale reconnaît le droit à la résistance pour libérer et défendre, elle confirme un droit naturel individuel ou collectif qui découle de la légitime défense. Il s’agit d’une norme impérative (jus cogens) qui donc ne se décrète pas, d’origine coutumière, qui a existé avant l’apparition des droit positif ou encore le droit de la Charte de l’ONU. L’intérêt de mentionner dans la déclaration gouvernementale de ce droit n’est pas pour autant superflu et garde toute son importance. Cette mention est à lire dans une tradition juridique bien connue qui vise à rappeler un principe général du droit pour le plus souvent l’encadrer dans un contexte juridique donné. Tel est par exemple le cas de l’article 51 de la Charte de l’ONU qui d’un côté confirme le droit à la légitime défense et de l’autre côté le dote des moyens du Conseil de sécurité qui le complète, le relaie et l’encadre. De la même façon, lorsque la déclaration gouvernementale confirme le droit à la résistance, elle n’entend nullement instituer deux légalités sur le même territoire mais une seule, celle de l’Etat. La résistance demeure une obligation du droit naturel mais dont l’organisation est assujettie à la logique de l’Etat.

Cette analyse sera corroborée dans le dernier rapport du le Secrétaire général de l’ONU qui rappelle que la résolution 1701 met en exergue, dans son esprit et sa lettre, le désarmement de tous les groupes armés au Liban et le monopole du gouvernement du Liban quant à l’usage de la force de son territoire (S_2009 /119 SG, 9ème rapport sur la rés. 1701 du SG/ONU, du 10 mars 2009). Il s’agit donc d’un principe sans l’application duquel, nonobstant les interprétations partisanes du texte, la résolution 1701 ne sera pas respectée. Cette question devient de plus en plus complexe lorsque le Hezbollah déclare qu’il n’entend pas désarmer tant que la question des fermes de Chebaa n’est pas résolue.

3.                 Le changement de majorité parlementaire. Il s’agit ici d’une situation où le Hezbollah et ses alliés détiendront le pouvoir législatif, formeront un gouvernement à la suite de consultations obligatoires avec le Président de la République, et décideront de l’agenda politique du Liban sans aucun contrepoids. Quelles sont les répercussions de cette situation sur la résolution 1701 ? Le Hezbollah a déclaré publiquement sa violation de la résolution 1701 puisqu’il a déclaré avoir triplé son arsenal militaire malgré l’embargo sur les armes.  Dans quelle mesure, ce parti une fois au pouvoir pourrait garantir que la résolution 1701 resterait désormais autonome? L’armée aux ordres d’un nouveau ministre de la défense lui-même aux ordres de la Résistance islamique se trouvera en connivence avec les activités clandestines au Sud du Litani et permettra ainsi de rendre obsolète toute tentative de la FINUL d’agir. Sans appel, et sans aucune circonstance atténuante, Israël considérerait alors davantage, comme il le fait à tort aujourd’hui, que tout le Liban fera l’objet d’une riposte à une attaque unilatérale pour venger Imad Maghnieh (ancien chef militaire du Hezbollah assassiné à Damas en 2008)  par exemple. Avec un gouvernement contrôlé par une nouvelle majorité parlementaire, l’armée et le Hezbollah n’en feront qu’un, et donc la stratégie défensive de la Résistance islamique sera désormais celle de l’Etat libanais.

4.                 Les négociations de paix entre Israël et la Syrie. L’évolution de ce dossier déterminera comment les deux protagonistes utiliseront le Liban comme espace de substitution pour la confrontation ou le dialogue entre eux selon les sujets posés tels le terrorisme, la chute de l’OLP dans les camps, l’augmentation de l’influence syrienne au Liban. Les frontières restent poreuses et la résolution 1701 malgré les avancées dans ce dossier n’a pas réussi à mettre en œuvre les mécanismes adéquats pour verrouiller les frontières avec la Syrie.


5.                 Le statu quo. L’absence de consensus national sur la stratégie de protection du Liban n’ouvrira-t-elle pas la voie à un maintien illimité des armes du Hezbollah contrairement aux stipulations de ladite résolution ? La résolution décide d’une recherche d’un maintien de la paix entre deux Etats, dont l’un au sens juridique du terme n’est pas belligérant dans le conflit de 2006. Et elle renvoie la vraie question, celle des armes, aux pourparlers internes. Elle crée ainsi deux zones tampons, l’une géographique au Sud et sur les frontières libano-syriennes, et l’autre politique par le biais des institutions libanaises. S’agit-il d’un « containment » double du Hezbollah, l’un matériel et l’autre immatériel ? Si telle était la stratégie, elle fut mise en échec par le Hezbollah. En effet, la 1701 a fait déplacer le centre de gravité stratégique du Hezbollah d’un Sud désormais interdit au centre du pays où siège le pouvoir politique et économique. Une dynamique d’apaisement suivi par la Résistance islamique avec l’Occident-ONU s’installera au Sud. En revanche, la dynamique de confrontation avec l’Occident continuera mais cette fois-ci à Beyrouth. Le gouvernement libanais, qui doit être le garant de l’application de la résolution 1701, devient l’objet d’un blocage méthodique de ses fonctions, par le biais d’une Résistance mutée en opposition. C’est ainsi que s’inscrivent les actes de la fermeture du Parlement, l’interdiction d’une élection d’un Président, le sit-in au Centre ville, les menaces de recours à la force contre le gouvernement et enfin, l’attaque armée contre les loyalistes des deux groupes majoritaires au Parlement.   A défaut de contrôler le Sud désormais sanctuarisé, le Hezbollah décida donc d’une stratégie de contrôle de la capitale et de son gouvernement par le recours  à la coercition.

6.                 La question iranienne (puisque l’Iran est cité dans le rapport du Secrétaire général). La FINUL sera-t-elle otage de la logique de la dissuasion qui la dépasse ? L’Iran et la Syrie sont nommément citées comme deux Etats qui ont des liens de trafic  avec le Hezbollah et qui doivent absolument respecter l’embargo sur les armes de la résolution 1701 (para. 72, rapport du SG/ONU, 18 nov. 2008 et para. 71, S_2009 /119 SG, 9ème rapport sur la rés. 1701 du SG/ONU, 2009). Ce constat est étonnant puisque d’un côté le Hezbollah déclare qu’il a augmenté ses capacités militaires depuis la guerre de 2006, donc depuis l’application de ladite résolution, et de l’autre côté, le Secrétaire général de l’ONU ne constate aucune violation manifeste de l’embargo à travers les frontières en se fondant sur les sources dont il dispose, mais en même temps, il attire l’attention des Etats fournisseurs, en les nommant ou en les désignant comme les Etats qui aident le Hezbollah, qu’ils doivent observer l’embargo. Mais au-delà de ces contradictions, l’Iran est clairement présent au Liban par le biais du Hezbollah. Ce lien opérationnel, logistique, doctrinaire et religieux est aussi un lien stratégique et politique. En d’autres termes, l’agenda iranien global semble véritablement passer par le Liban. Cette situation s’est manifestée lors des réunions du Qatar donnant lieu aux accords de Doha, où des puissances régionales devaient donner leurs avis ou instructions, à leurs alliés libanais. Dans cette conjoncture, dissocier les deux dossiers libanais et iranien surtout en ce qui concerne la vision stratégique de l’Iran qui inclut le Hezbollah dans son dispositif semble être illusoire. A défaut de régler le problème du nucléaire iranien, comme l’ont justement exprimé des hauts responsables iraniens, le « linkage » entre les deux alliés demeurera solide. Dans ce champ stratégique assez complexe, la FINUL aura du mal à rester en dehors de l’équation géopolitique.


III.             Pistes pour l’avenir.

1.                  La communauté  internationale est appelée à s’engager pour amener la Syrie et Israël à coopérer avec les Nations Unies sur les questions des fermes de Ghajar et de Chebaa. Dans son huitième rapport sur l’application de la résolution 1701 en date du 18 novembre 2008, le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Kee-Mon, a encouragé les parties à faciliter le retrait des forces israéliennes du village du Ghajar et une partie adjacente de la Ligne Bleue, sans lequel Israël n’aurait pas complété son retrait du Liban Sud selon les dispositions de la résolution 1701.  Dans le même rapport, il relève que la Syrie n’a pas coopéré en fournissant les documents nécessaires à la délimitation des fermes avant leur démarcation.  Or, malgré les demandes répétées de l’ONU sur cette question, il semble que la Syrie, selon les rapports, a observé un silence assourdissant. La même attitude est prise par Israël qui ne fournit par ailleurs aucun document malgré la demande répétée de l’ONU. Ce refus des deux protagonistes à coopérer montre l’intérêt commun qu’ils ont à intégrer cette question des fermes de Chebaa dans le cadre de la résolution 242 et non de la résolution 425 qui ne couvre que les territoires occupés en 1978 et non ceux pris en 1967 à la Syrie, et donc ne pouvant être réglée que dans le cadre des pourparlers de paix avec Israël. Ces positions sont citées dans le 9ème  rapport du Secrétaire général qui indique que les protagonistes syrien et israélien préfèrent discuter de la question des fermes lors des pourparlers de paix sur le Golan.  La Syrie aurait ainsi eu sa garantie de la concomitance des deux voies syrienne et libanaise dans la résolution du conflit avec Israël. Dans ce contexte, la pression internationale sur la Syrie pourrait aboutir à une coopération substantielle sur ce dossier à condition qu’elle s’applique sans retard. Apparemment, Damas joue la montre, s’il y a changement de majorité au Liban, pour empêcher de soustraire ce dossier à sa tutelle comme est la tendance actuellement.

2.                  A défaut de la coopération syrienne sur le dossier de la délimitation de la frontière, le Liban doit prendre ses responsabilités et déclarer qu’il est prêt à s’en remettre complètement à l’ONU qui se chargera de parrainer une médiation entre le Liban et Israël pour le recouvrement des fermes de Chebaa et le retour la ligne des accords d’armistice de 1949 comme est stipulé dans les accords de Taëf, les sept points de la déclaration du gouvernement libanais et la résolution 1701. Dans un passé proche en 1996, des pourparlers directs étaient engagés entre le Liban et Israël à Washington pour l’application de l’accord qui a mis fin à l’agression israélienne contre le Liban. Dans un passé encore plus proche depuis 2006, l’échange de prisonniers et de dépouilles entre Israël et le Hezbollah eut lieu à la suite d’une négociation indirecte entre les deux parties facilitée par l’ONU mais indépendamment de l’Etat libanais. 

3.                  Par ailleurs, dans ses rapports sur l’application de la résolution 1701, le Secrétaire général de l’ONU se félicite de l’avancée du processus de dialogue national. Ce processus est très important pour renouer ce qui est rompu avec le Hezbollah. Ce parti est appelé à montrer dans les faits ce que son représentant M. Ghaleb Abou Zeinab a présenté dans le journal libanais al Dayar du 17 décembre 2008, en ce sens, que le Liban ne peut être gouverné que par la démocratie consensuelle. Mais consensus sur quoi ? Jusque là le consensus ne peut se faire que de façon unilatérale, et c’est la raison du plus fort dans la rue, c’est-à-dire, le plus fort militairement, qui l’emporte. En l’absence de résultat quant au dialogue national sur la destination des armes du Hezbollah, la méfiance continuera à régner. La pierre angulaire de toute la logique onusienne est la restitution de l’Etat de droit au Liban, et plus encore, le maintien de la stabilité. Or précisément les armes du Hezbollah si elles contribuent à défendre le pays du Cèdre contre l’ennemi Israël, elles se sont montré être source d’instabilité politique et sécuritaire à l’intérieur. Une pérennisation de cette situation changera de façon définitive la donne au Liban et il ne restera alors plus grand-chose que la résolution 1701 défendra.

4.                  La question iranienne. Il est de la responsabilité des autorités de l’Etat libanais et de la société civile libanaise d’engager un dialogue ouvert et sérieux avec la République islamique iranienne. Le Liban n’est pas Gaza. Le Liban est de tradition démocratique, de structure plurielle, de composition diverse. C’est dans un Liban libre, et seulement dans ce pays au Moyen-Orient, que l’esprit critique s’est développé comme nulle part ailleurs au Moyen-Orient avant de devenir porteur de toutes les causes arabes et islamiques justes et de toutes les logiques minoritaires. La Révolution iranienne a besoin d’un Liban-espace de dialogue ouvert et naturel. Le Liban est une nécessité pour l’humanité et un message universel. Il ne peut être réduit à sa seule dimension sécuritaire et d’espace de confrontation ou de règlement de compte. Et donc, il est de la responsabilité de l’Iran d’aider à le préserver tel qu’il est, dans sa valeur intrinsèque, dans sa différence même lorsqu’elle est opposée aux valeurs de la Révolution islamique. Car c’est du respect conscient de cette différence affirmée que naît la vraie tolérance. Sans cette prise de conscience, le Liban sera toujours considéré comme un échiquier où les communautés se déplaceront selon les rôles dessinés par les joueurs.  D’où il est impératif de traduire politiquement l’appel du Secrétaire général de l’ONU lancé à l’Iran pour respecter l’embargo. L’Iran a honoré sa dette morale et religieuse à l’égard de la Résistance islamique au Liban. Le Hezbollah ne peut plus être déraciné par la force ni par Israël ni par toute autre puissance. Mais alors comment sortir de l’impasse ? Tout le monde a besoin de tout le monde au Liban, aucune solution ne peut être imposée de façon unilatérale. L’histoire de ce peuple résistant et frondeur l’a toujours montré.

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La résolution 1701 est une feuille de route pour le rétablissement de l’Etat au Liban. Son autonomisation est celle de l’Etat. L’une nourrit l’autre. La construction de l’Etat doit être hâtée et la résolution devrait y aider. A défaut, elle devrait être autonomisée malgré l’Etat en décomposition. Ne s’agit-il pas après tout de paix et de sécurité internationale ?

La chute de la résolution est motif d’instabilité pérenne et donc, elle ouvre la voie à la recherche d’autre chose que l’ONU.  Deux alternatives semblent s’imposer, et elles ne sont pas mutuellement exclusives : la tutelle syrienne et/ou la tutelle israélienne. Cela montre les limites de l’usage interne de la force armée de la part du Hezbollah qui invitera l’une comme l’autre. Mais au cas où le Hezbollah, et c’est ce qu’il fera apparemment, optera pour la voie exclusivement politique avec la possibilité de le voir arriver avec ses alliés au pouvoir : la résolution serait alors amenée à être appliquée contre l’Etat, ce qui la fera tomber dans une contradiction destructrice qui la videra de son sens.

Ainsi, la résolution était à l’origine tributaire de l’équilibre des forces. Nous préférerions le terme équilibre des vulnérabilités ou des faiblesses. Elle devrait fonder une dynamique de dépassement du conflit pour transformer les solutions éphémères en une équation permanente. Or tel ne semble plus être le cas. La résolution au lieu de lancer un processus de normalisation d’un pays sorti d’une destruction massive, sera considérée non comme une finalité à respecter mais comme un moyen pour continuer la guerre avec d’autres moyens. Elle devrait fournir un nouveau régime juridique pouvant fonder un nouvel ordre politique assaini au sein du Liban et dans les rapports du Liban avec l’extérieur en tant qu’Etat souverain. Elle sera mise en échec dans les faits et non dans les rapports du Secrétaire général, et sera réduite à une exception dans un Liban ouvert à toutes les ingérences. Cette vision minimaliste de la résolution est néanmoins appelée à être préservée, car elle peut être créatrice d’espoir et fondatrice d’un retour à son esprit originel. En effet, au lieu d’autonomiser le Liban, cette résolution serait amenée à s’autonomiser pour se préserver contre toute évolution dramatique de la situation au Liban. La FINUL (II) serait-elle alors amenée à régresser vers son état originaire prévu en 1978 et qui a résisté à toutes les invasions israéliennes en préservant ce qui restait alors de la souveraineté libanais et la présence internationale ? Ou encore, serait-elle appelée à se transformer vers un FINUL (III) du chapitre VII avec un mandat territorial plus ou moins important ?



Références:

·        Sélim el Sayegh, La Crise du Golfe, de l’interdiction à l’autorisation du recours à la force, LGDJ, Paris, 1993, 540 p.
·        Sélim el Sayegh, La lutte contre le terrorisme et le nouveau rôle du Conseil de Sécurité, 2004, Revue Diplomatie, Pékin, 15 p.
·        Rafâa Ben Achour, la résolution 1701, « La résolution 1701 (2006) du Conseil de Sécurité - trop tard et trop peu », http://www.ridi.org/adi/articles/2006/200611bac.pdf
·        Textes onusiens :
La résolution 1701, http://www.un.org/french/docs/sc/2006/cs2006.htm
·        S_2008
·        S_2009_119_SG report to the Security Council

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